Je lutte de toutes mes forces pour
décoller une paupière et affronter le réveil.
03:26
Mais c'est qui l'inconscient qui se dit
que faire sonner mon téléphone en plein milieu de la nuit est une
bonne idée ?!
J'hésite vaguement à jeter le
portable contre le mur et me rendormir mais ma curiosité arrête mon
geste et m'oblige à lire le message reçu.
« Je pense toujours à toi, je
crois que c'était une erreur et que je peux la réparer. S'il te
plaît. »
Là, c'est certain, je suis
complètement réveillée. J'en veux pour preuve le gloussement
débile qui s'échappe de ma gorge en lisant ces mots et en devinant
sans mal leur expéditeur.
Près de trois ans sans avoir la
moindre de ses nouvelles et il réapparaît comme ça, du jour au
lendemain.
Comme si lors de notre dernière
entrevue, ça ne s'était pas terminé par moi lui jetant des livres
à la tête et lui me rabaissant plus bas que terre.
Tout de suite, il me vient 1001
réponses à lui balancer. Lui demander s'il a besoin que je lui
envoie une ambulance, lui conseiller d'appeler plutôt sa mère quand
il n'arrive pas à dormir, lui suggérer l'introduction de divers
objets dans son rectum... Mais, comme toujours, je ne peux m'y
résoudre.
Morphée ne voulant plus de moi,
j'allume la lampe de chevet et attrape un livre qui traîne.
Impossible de me concentrer, les mots dansent devant mes yeux et
rien n'empêche mon esprit de penser à lui...
Je me demande à quoi il ressemble
aujourd'hui. Ce qu'il espère en agissant ainsi. Ce qu'il attend de
moi...
Est-ce-qu'il serait fou de croire qu'il
a cheminé vers ça tout ce temps loin de moi ?
J'éteins complètement mon téléphone,
j'envoie un mail « Cellule de crise » à Alex et m'oblige
à retrouver le sommeil.
Au réveil, je maudis le chauffe-eau
encore en panne qui m'oblige à prendre une douche froide.
Dans la cuisine, je maudis la cafetière
qui embrasse trop fort l'évier et se fracasse à mes pieds avant que
je me serve.
Dans le bus, je maudis l'idée
d'habiter si loin de son lieu de travail.
Dans le hall de la société, je maudis
celui qui a pris le dernier gobelet à la machine.
Quand j'arrive à la porte de mon
bureau, je suis en retard, fatiguée, et énervée.
- « Salut Beauté ! »
Alex est là, le cul posé sur un coin
du bureau, deux cafés fumants à côté de lui.
Alex, c'est mon binôme de souffrance.
Il est arrivé dans la boîte il y a quatre ans et travaille dans le
bureau en face du mien. On s'est tout de suite bien entendu mais ce
n'est pas ce qui nous a vraiment rapproché.
C' était en plein mois d'août,
les locaux étaient presque déserts.
Il faisait une chaleur terrible et la
clim' avait lâchée dans la nuit.
J'avais poussé la porte de
son bureau sans faire attention que ce n'était pas le mien et
l'avais surpris en train de brancher des câbles sous son bureau. Sa
position contorsionnée relevait le bas de son tee-shirt et ne
cachait strictement rien des zébrures mauves sur ses reins.
Il avait tranquillement fini avant de
se relever et de me dire :
- « Donc, ça, ce sont des
traces de badine. »
- « De badine ? »
- « Oui, tu sais, une fine
branche de bois souple. Du noisetier. Ou du rotin. Je ne sais pas,
il faudrait poser la question à ma Maîtresse. »
- « Ta maîtresse ?! »
C'est comme ça que j'avais appris son
statut de soumis. Et c'est surtout comme ça que j'avais poussé la
porte du BDSM. Et c'est évidemment comme ça qu'on était devenu
inséparable.
- « Tu ne m'écoutes même
pas ! Tu sais que j'ai dû donner de ma personne pour que l'on me laisse les deux derniers cafés ? »
Sa voix me ramène au réel. J'attrape
mon gobelet sans répondre et le laisse enchaîner :
- « Tu lui as répondu ? »
- « Ah ça non ! Ca ne risque
pas, merci bien ! »
Il me fixe sans rien dire avant
d'annoncer son verdict :
- « Je te laisse le weekend.
Je suis persuadé que lundi matin, nous serons là, tous les deux et
tu me raconteras l'avancée de vos retrouvailles. »
- « Toi non plus, tu ne
m'écoutes pas. Je ne lui répondrai pas, ni maintenant, ni ce
weekend, ni l'an prochain. Je guéris à peine des horreurs qu'il
m'a infligées lors de notre rupture. »
Il sourit avec un petit air suffisant
qui me donne envie de lui jeter une gomme dans le front. Je n'ai pas
le temps de viser qu'il sort de mon bureau en concluant:
- « Lundi, tu t'occupes des
cafés! »
Je passe la journée concentrée sur
mon boulot et le temps file à toute allure.
Ce n'est qu'en
ressortant de l'immeuble que je réalise que je n'ai pas rallumé mon
téléphone ce matin. Je fouille dans mon sac et tape mon code avant
de rejoindre le trottoir. En quelques mètres, les alertes de
messages se multiplient et je baisse mon regard sur l 'écran au
moment où je pose le pied sur le passage piéton.
A la même seconde, une main d'homme
surgit sur le côté et me retient le bras. Le bus qui a failli
m'écraser klaxonne et mes cheveux volent à son passage.
Je tourne les yeux pour remercier mon
sauveur et j'ai l'impression d'être électrocutée quand mes yeux se
posent sur lui.
Je me suis escrimée à ne pas penser à
lui depuis ce matin et il est là.
Je le devine très content de
lui pour cette entrée digne d'un film.
Il me sourit et me dit de sa voix
basse :
- « Bonjour Roxane. »
Merde !
Sans me lâcher du regard, il m'éloigne
doucement de la route et continue à me sourire.
Je le dévisage
comme si je ne l'avais jamais vu.
Ses cheveux ont un peu poussé,
sa barbe est plus longue aussi.
Je croise ses yeux qui me
transpercent chaque fois comme la première fois qu'il les a posés
sur moi.
Les prémices de rides que son sourire
fait apparaître sur sa tempe.
Sa bouche si...
Une chaleur traître s'installe dans le
bas de mon ventre en me rappelant la douceur et la chaleur de cette
bouche...
Je reprends mon bras d'un coup sec en rétorquant :
- « Re-bonjour plutôt, tu
m'as déjà réveillée cette nuit. »
Sans attendre de réaction de sa part,
je file vers mon arrêt de bus. Et il m'emboîte le pas.
- « Tu as raison. Discutons en
marchant, j'ai toujours adoré ce quartier ! »
Je ne dis rien et je sens que ça
l'irrite.
- « Tu ne m'as pas répondu
cette nuit. »
Il continue sur sa lancée :
- « J'ai vraiment besoin de te
parler, il y a des discussions que nous n'avons jamais terminées. »
Là, j'ai envie de pivoter violemment
et d'écraser la valise qui me sert de sac à main sur sa belle
gueule. Finalement, je me contente d'accélérer le pas et tourne le
coin de la rue juste à temps pour voir mon bus s'éloigner de la
rue.
- « On dirait que tu as le
temps maintenant ! »
Sans que je comprenne comment, il
s'empare de ma main et traverse la chaussée en m'entraînant à sa
suite.
Je ne peux m'empêcher de refermer mes doigts autour des
siens en me traitant mentalement de faible.
Il entre dans un café, marque une pose
au comptoir pour commander et me guide jusqu'au fond de la salle.
Il ne dit rien le temps que nos verres
arrivent et je ne fais pas l'effort de la conversation.
J'ai le
sentiment qu'il est le premier à avoir quelque chose à dire et je
reconnais être curieuse de l'entendre.
Les consommations arrivent et il
s'accorde une gorgée avant de se lancer.
- « Tu n'es pas une folle
doublée d'une pute. »
A une négation près, il vient de me
lancer la même phrase qui a clôturer notre histoire.
A cette négation près, il vient de
capter toute mon attention et je l'écoute comme dans un rêve.
Je
l'écoute me parler de ce jour où tout avait dérapé entre nous, du
moment où j'avais exprimé mon envie et mon besoin de me soumettre
et qu'il l'avait pris comme une gifle.
Il me parle de mon départ, de son
chagrin et de son introspection.
Il me raconte la première fois qu'il a
allumé l'ordinateur pour y taper les quatre lettres dans un moteur
de recherche.
Il m'explique les sites, les blogs
qu'il a visité. Je réalise que nous sommes passés par les mêmes
endroits.
Il me dit qu'il a rejoint un forum
dédié au sujet où s'est créé une vraie communauté.
Il s'arrête un instant pour me
regarder.
- « Est-ce-que tu as sauté le
pas de réaliser tes envies Roxane ? »
- « Pas vraiment... »
- « Oui ou non? »
Il parle avec un ton que je ne lui connais pas. Presque sévère. Et si troublant, que je lui réponds dans un souffle.
- « Non. »
Je ne peux que remarquer son petit
sourire en coin. Ma curiosité parle pour moi :
- « Et toi ? »
- « Non. J'ai vu, j'ai appris
mais je n'ai pas fait tout ce chemin pour que tu ne sois pas la
première grâce à qui je le vis. »
Touchée ! Je le regarde
probablement d'un air bête, l'invitant à développer.
- « Maintenant, je sais ce que
je veux. Peut-être bien que finalement, ça ressemble à ce que tu
veux aussi.
Si on essaye pas, on ne peut pas
savoir. Est-ce-que tu as envie d'essayer avec moi ? »
Je réalise que je suis en train de
hocher la tête et ses yeux affichent une lueur que je ne leur
connais pas.
- « Bien. Enlève ta
culotte. »
Je me sens fondre quelque part entre
mon ventre et mes cuisses.
- « J'ai très envie que tu me
la donnes et je suis sûr que tu as envie de me la donner. »
Fantasmer est une chose. Le passage au
réel en est une autre.
J'essaye de gagner du temps.
- « Ici ?! »
- « Ici. »
Léger arrêt dans sa phrase, je sens ses yeux me sonder, me lire jusqu'au fond de l'âme. Et puis, il ajoute:
- "C'est la dernière fois que tu discutes un ordre."
Immédiatement, j'enlève ma culotte en me tortillant sur la banquette en skaï craquelé, comme si c'était la chose la plus évidente qui soit.
J'attrape l'élastique à travers le tissu de ma jupe, je la fais descendre le long de ma hanche.
D'abord un côté, puis l'autre.
Je la fais rouler sous mes fesses en basculant légèrement mon bassin.
J'écarte les cuisses et tire le tissu jusqu'à mes genoux protégés par la nappe avant de le faire glisser jusqu'à mes chevilles.
Pas une seule seconde, je ne quitte son regard.
Y lire son envie comme un reflet de la mienne. Y lire aussi cette foule de questions, de doutes.
Et aussi le sentiment que personne d'autre que nous n'échangera jamais un tel regard.
Je ramasse le morceau de dentelle sous la table et il me tend sa main au dessus de nos verres pour que je l'y dépose.
Le simple contact de sa paume contre le bout de mes doigts me tord le ventre.
Le tissu est humide et chaud; il lui arrache un soupir de satisfaction avant de disparaître dans sa poche.
Je murmure, presque inaudible:
- "Tu es fier de moi?"
Il me fixe, presque ému:
- "Je suis fier de nous."